6 juil. 2009

Burqa or not burqa

La confrontation des cultures a ceci de positif qu’elle nous oblige sans cesse à repenser nos valeurs et leur fondement, mais il faut veiller à ne pas se laisser instrumentaliser par ceux qui ont tout intérêt à ce que les esprits s’échauffent. On peut aborder la question du port de la burqa sous différents angles : laïcité de l’espace public, sécurité publique, égalité des sexes, etc.

Il me semble qu’on perd de vue un aspect fondamental rarement évoqué dans ce débat, à savoir la signification symbolique du visage dans notre culture occidentale (la pensée du philosophe Emmanuel Levinas est essentielle à cet égard). Dans les rapports humains, la confrontation au visage d’autrui provoque normalement deux réactions : d’une part un processus d’identification (dans les deux sens du terme, à savoir l’action d’identifier la personne mais aussi le fait de s’identifier à cette personne), d’autre part une reconnaissance de l’altérité et de la singularité de cette personne. Il en découle que le visage d’autrui incarne son appartenance à la communauté humaine (identification) et en fait une personne à part entière (altérité), avec la responsabilité que cela implique de part et d’autre de la relation. En inhibant ces mécanismes, le port de la burqa dans notre culture équivaut purement et simplement à nier le concept même de personne et revient à réduire l’humain à l’état de chose. Il est donc totalement faux de prétendre que l’interdiction de la burqa violerait les droits humains puisque ce vêtement aboutit précisément à déshumaniser celle qui le porte.

De plus, se trouver face à un visage volontairement dissimulé, c’est se trouver face à un mur. Il y a là un refus affiché du dialogue et de l’échange qui peut être ressenti par les citoyens ordinaires comme une forme d’arrogance (Elisabeth Badinter, dans une interview à RTL parle de "signe terrible d’incivilité mais aussi d'impolitesse" http://www.rtl.fr/fiche/2126528/burqa-la-liberte-religieuse-n-est-pas-absolue-selon-la-halde.html), au risque d’attiser chez certains une islamophobie qui, malheureusement, ne demande qu’à trouver des prétextes pour se propager, alors même que la burqa n’a rien à voir avec l’Islam (la plupart des dignitaires religieux musulmans sont d'accord sur ce point).

Pour toutes ces raisons et même si ce phénomène est encore largement minoritaire dans nos pays, c'est dès maintenant que ces derniers doivent fixer des limites claires : si, dans certaines conditions, on peut tolérer le port du voile ou du foulard, pas question d'autoriser le port de la burqa qui transgresse une valeur fondamentale de notre société.



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23 juin 2009

Combien un esprit supporte-t-il de vérité ?

C'est la question qui m'a traversé l'esprit à l'issue de la représentation de "Ode maritime" de Alvaro de Campos alias Fernando Pessoa (dans une mise en scène de Claude Régy) au cours de laquelle des spectateurs ont bruyamment quitté la salle (voir à ce propos les rubriques des 4 et 14 juin qu'y consacre Pierre Assouline dans son blog*).

Peut-être, se fondant sur le titre de l'œuvre, ces spectateurs s'attendaient-ils à des histoires pittoresques de marins aventuriers avec à la clé des cris de mouettes**, des tempêtes et une femme dans chaque port ? Que croyaient-ils, demande ironiquement Assouline, qu'ils allaient voir du Eric-Emmanuel Schmitt ?

Comme toujours avec Pessoa, on est loin, très loin des clichés. En fait, la mer n'y est qu'un prétexte, guère plus qu'une toile de fond. Le véritable thème de l'oeuvre, ce sont les profondeurs abyssales où vivent des créatures monstrueuses; pas les gouffres océaniques auxquels pourrait faire penser le titre, mais ceux, intérieurs, proches et donc autrement plus effrayants, qui hantent l'âme humaine. Carnages, massacres, tortures, viols, récit du bourreau, mais aussi celui, plus dérangeant encore, du masochiste qui implore d'être soumis aux pires atrocités, rien ne nous est épargné des détails les plus scabreux, jusqu'aux limites du supportable (au-delà, apparemment, pour ceux qui ont quitté la salle). Face aux scènes épouvantables que nous narre le magnifique comédien Jean-Quentin Châtelain d'un ton souvent monocorde et d'autant plus inquiétant qu'il l'entrecoupe de cris qui vous mettent les nerfs à vif, deux réactions sont possibles : soit, figé dans votre fauteuil, sonné (oserais-je dire : fasciné, comme on l'est devant un serpent venimeux) par ces visions abominables, vous restez jusqu'au bout de l'horreur (après quelque temps, au sortir de son cauchemar, le narrateur finit par se calmer, épuisé, toute son énergie dévorée par ses démons intérieurs); soit, révulsé, saisi d'effroi, vous n'avez d'autre choix que de fuir ce récit insoutenable. Dans les deux cas, une même révélation dérangeante se fait jour : Pessoa ne parle de rien d'autre que de nous, nous tous, monstres en puissance dont la malfaisance se révélera ou non suivant les circonstances (une guerre par exemple). La seule différence entre ceux qui restent dans la salle et ceux qui partent, c'est que les premiers acceptent cette idée, aussi abjecte soit-elle, tandis que les seconds s'empressent de la refouler aussi violemment qu'elle leur est apparue, préférant s'aveugler sur leur vraie nature. "Combien un esprit supporte-t-il de vérité, combien en ose-t-il ?" écrivait Nietzsche dans "Ecce homo".


*http://passouline.blog.lemonde.fr/

**Il me semble avoir entendu des mouettes mais peut-être était-ce celles de la plage de Vidy !

22 juin 2009

Défaite de la musique

Hier, fête de la musique.

J'ai peu de goût pour ce genre de manifestation, qui transforme la musique en simple objet de consommation. De nos jours, on consomme l'art (voir les grandes expositions, telles Van Gogh ou Picasso, qui sont de véritables foires). On ne va plus vers lui si on en a le désir, c'est lui qui vient à nous, impossible d'y échapper. Il n'y a plus de désir, il n'y a que du besoin. L'art est devenu un divertissement en ce sens qu'il nous éloigne de nous-même au lieu de nous y relier.

19 juin 2009

blaise.pascal@port-royal.com

Dans l'une de ses fulgurantes pensées, Blaise Pascal disait de l'univers qu'il était "une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part". Une telle définition ne s'applique-t-elle pas merveilleusement au web, réseau de réseaux, sans aucun centre de gravité ni confins, où le temps n'existe qu'à l'état d'immédiateté et où le lointain et le proche se confondent ?

18 juin 2009

Ils sont fous ces romands !

On assiste, ces jours-ci, à l’apparition dans les médias suisses d’un nouveau concept : la "romandicité " (pourquoi pas romanditude, d'ailleurs ?). Késako ? Selon certains, pour pouvoir succéder à Pascal Couchepin au Conseil fédéral en septembre prochain, le ou la candidat/e devra remplir une condition nécessaire (mais non suffisante : on ose espérer que la compétence en est une autre) : être romand.

Question : selon quels critères détermine-t-on qu'une personne est ou non romande ? Doit-elle fournir un certificat attestant de son authentique romandicité et depuis combien de générations ? Va-t-on instaurer un examen de "romandisation" pour pouvoir juger si quelqu'un qui n'a pas eu la "chance" d’être romand de souche (chasselas plutôt que de Riesling-Sylvaner) l'est devenu au fil des années passées de ce côté-ci de la Sarine ? Apparemment, le fait d’être né dans un canton romand et d’en avoir défendu les intérêts tout au long de sa carrière politique ne donne pas à Urs Schwaller un degré suffisant de "romandicité" au motif qu’il est issu de la minorité alémanique du canton de Fribourg. Son bilinguisme parfait, plutôt que d’être un atout, se transforme en un handicap. Curieuse conception de l’ouverture d’esprit pour un pays qui se targue d’être multiculturel et qui fait du bilinguisme, voire du multilinguisme, un de ses atouts ! Sans compter que le fait d’être lui-même issu d’une minorité linguistique rend probablement Urs Schwaller plus sensible à cette question qu’une personne issue d’un canton uniquement francophone. Mais il ne s’agit pas tant d’Urs Schwaller en particulier que d’une question de principe.

Evidemment, derrière cette polémique se cachent des intérêts purement politiques (en l’occurrence des rivalités personnelles plutôt que linguistiques). Mais, comme par hasard, ce débat intervient au moment même où certains milieux soulèvent "la question romande" (voir le livre de F. Cherix aux éditions Favre) et lancent l’idée de la création d’une nouvelle entité institutionnelle romande. D’ailleurs, la Suisse romande existe-t-elle vraiment ? N’est-ce pas plutôt une fiction à laquelle on se raccroche en ces temps difficiles où les identités nationales ou régionales sont mises à mal par la mondialisation ? Ne joue-t-on pas avec le feu et ne risque-t-on pas de provoquer un scénario à la belge ? Nous avons besoin les uns des autres : plutôt que de nous diviser, nos différences et nos divergences de point de vue devraient nous rendre complémentaires. Quant à moi, pour le dire plus crûment et moins diplomatiquement, je me sens nettement plus proche d'un citadin zurichois, bernois ou bâlois que d'un pourfendeur de loup valaisan ! Je le dis d'autant plus volontiers que, même si j'habite aujourd'hui dans une ville, mon pedigree est à la base plus agreste qu'urbain et que j'ai eu l'occasion de fréquenter les deux mondes.

15 juin 2009

L'heure des oiseaux

Dimanche, 5 heures du matin.

Entre leurs murs de béton, mes frères humains abrutis de fatigue ou de substances diverses se perdent dans les dédales de leurs rêves. Quant à moi, je suis à ma fenêtre, juste sous les toits. J’attends le lever du soleil avant de m’abandonner au sommeil à mon tour.

Dehors, c’est l’heure des oiseaux. La ville leur appartient pour un moment. Chacun prend possession de sa portion de ciel, en trace les frontières avec ses vocalises, m’offrant une aubade enjouée.

C’est le merle qui ouvre le bal, perché sur son promontoire au-dessus de moi, défiant fièrement de son chant céleste ses congénères qui lui répondent des toits alentour.

Dans un instant, les martinets traverseront le ciel comme des flèches de leur vol effréné pour ne s’arrêter qu’une fois la nuit tombée. Une corneille vitupérera contre un chat qui a osé s’aventurer près d’une poubelle convoitée. Tapi au sol, le félin finira par prendre la fuite, moins par peur que parce que le croassement du volatile lui sera, comme à moi, insupportable.

Mais pour le moment, je m'imprègne de la douce mélodie du merle. Elle est comme la promesse d’un recommencement possible et me laisse apaisée, délivrée de la pesanteur de la nuit. Je peux aller dormir tranquille.

12 juin 2009

Faire-part de naissance d'un nouveau blog

J'ai la grande joie de vous annoncer la naissance de mon blog aujourd'hui même. Le travail (dans tous les sens du terme) fut long et douloureux mais l’auteur et son rejeton se portent bien.

Petite parenthèse : j’aurais pu écrire « l’auteure » puisque j’appartiens sans nul doute et pour mon plus grand bonheur au genre féminin. Mais je me suis toujours refusée à m'abaisser à ce genre d’acrobatie orthographique. Non que je sois opposée à l’égalité des sexes, bien au contraire ; il reste encore de nombreux combats à mener dans ce domaine. Mais je pense que ce genre de mesure purement cosmétique est inefficace : il est illusoire de croire qu’on peut agir sur une réalité complexe simplement en changeant les mots. Au sens littéral, on joue sur les mots. Les faits me donnent malheureusement raison puisque la différence de salaire hommes-femmes est toujours notable. Fin de la parenthèse.

Voici donc un nouveau blog, un de plus, penserez-vous. Et vous aurez raison. C’est ce qui m’a fait longuement hésité avant de céder aux sirènes de la blogosphère. Il a bien fallu que je me pose LA question fondamentale : avais-je quelque chose à dire ? Oui, oui et encore oui. De quoi vais-je parler ? Comme le disait le poète latin Térence : « Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger* » (sans vouloir insister plus lourdement sur un sujet délicat, il eût été de bon ton de remplacer « homme » par « être humain », de même qu’on remplace désormais systématiquement l’expression « droits de l’homme » par « droits humains ». Mais le politiquement correct m’ennuie profondément, pour rester polie). Je vais donc parler de tout : de musique, de littérature, de politique, d’actualité. Et de rien : de ces petits riens qui nous enchantent ou nous agacent. De petits coups de cœur ou de grands coups de gueules et réciproquement. Et cela en toute subjectivité parfaitement assumée. Vaste programme, donc. Inutile de dire que ce blog sera nécessairement hétéroclite et décousu, mais, comme Nietzsche, je n’aime pas beaucoup l’esprit de système.

Quant à savoir si ce que j’ai à dire est intéressant, à vous de juger et de me le faire savoir. J’aime les échanges de vues et je n'ai pas peur des critiques à condition qu’elles soient argumentées et constructives.

A bientôt !

* Pour les latinistes distingués ou ceux qui préfèrent les v.o. aux versions doublées : « Homo sum ; humani nihil a me alienum puto »